Association AFA : Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies doit instaurer une commission d’enquête sur les violations systématiques en Libye
Paris, le 6 avril 2025 – L’association Adala For All exprime sa vive inquiétude et condamne fermement la décision de suspendre les activités des organisations internationales en Libye. Cette décision, annoncée le 2 avril lors d’une conférence de presse à Tripoli par l’Agence de sécurité intérieure (ISA), a été prise sans décision judiciaire préalable. Elle vise notamment le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et repose sur des accusations infondées de « menace à la sécurité nationale » et de participation à une supposée « campagne de grand remplacement ».
Le porte-parole de l’ISA a accusé ces organisations de chercher à « installer des migrants d’origine africaine en Libye », qualifiant cela d’acte hostile visant à modifier la composition démographique du pays et à menacer son tissu social.
Adala For All considère ces mesures comme répressives et constitutives d’une violation flagrante des libertés fondamentales, notamment celles de réunion et d’association. Elles s’inscrivent dans un rétrécissement inquiétant de l’espace civique en Libye.
L’Agence de sécurité intérieure intensifie les violations systématiques
La Libye connaît une nouvelle escalade dans la répression des libertés fondamentales. L’Agence de sécurité intérieure a intensifié ses violations systématiques à l’encontre des militants, journalistes et défenseurs des droits humains. Ces atteintes se traduisent par des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture et des décès suspects en détention, sans que les auteurs n’aient été inquiétés à ce jour.
Récemment, cette répression a visé le personnel libyen d’organisations internationales opérant pourtant en toute légalité. Sont concernées, entre autres, le Comité international de secours, le Conseil norvégien pour les réfugiés, International Medical Corps, le Conseil danois pour les réfugiés, Médecins Sans Frontières – France, CARE Allemagne et Cesvi Italie.
Bien que ces organisations soient enregistrées auprès de la Commission de la société civile et œuvrent avec l'accord des autorités, leur personnel local a été victime d’intimidations, d’interrogatoires et de confiscations de passeports. Certains ont été contraints de signer des engagements à ne plus jamais travailler pour une ONG internationale. Les bureaux de ces organisations ont été fermés unilatéralement par la Sécurité intérieure, sans procédure judiciaire, en violation de la Déclaration constitutionnelle libyenne et de l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par la Libye en 1970.
Ces actes constituent une atteinte grave à la liberté d’association. Adala For All rappelle que les autorités libyennes doivent protéger les citoyens et traduire les auteurs de ces crimes en justice par le biais d’enquêtes indépendantes et de procès équitables. Il est également essentiel d’indemniser les victimes et de mettre fin à ce cycle de violations.
Violations systématiques à l’encontre des migrants en situation irrégulière
Lors de la même conférence de presse, l’ISA a affirmé surveiller des « activités hostiles » menées, selon elle, par des ONG internationales sous couvert de programmes humanitaires. Ces propos accusent les ONG de chercher à établir durablement des migrants en Libye dans le cadre d’un prétendu plan visant à « modifier la composition démographique » du pays.
Adala For All dénonce la situation dramatique des migrants et réfugiés en Libye, documentée à plusieurs reprises par les Nations Unies, l’OIM et diverses ONG. Ces personnes subissent détentions arbitraires, travail forcé, extorsion, torture, violences sexuelles, et disparitions forcées. Nombre d’entre elles sont détenues dans des centres officiels ou informels dans des conditions inhumaines, sans protection juridique, ni accès à des procédures d’asile dignes.
Par ailleurs, de nombreux migrants interceptés en mer ont été refoulés vers la Libye en vertu du protocole d’accord signé entre l’Italie et le gouvernement d’entente nationale en 2017, toujours en vigueur malgré les condamnations internationales. Ces refoulements s’opèrent avec la complicité des garde-côtes libyens, souvent liés à des milices, et avec l’aval tacite des autorités italiennes.
L’ISA porte une responsabilité directe dans les attaques et les obstructions à l’aide humanitaire. Elle contribue, par ses actions et son discours, à une criminalisation croissante de la solidarité. Ce discours s’inscrit dans une rhétorique similaire à celle de certains courants extrémistes et racistes européens, qui prônent l’islamophobie et l’exclusion des minorités.
Dans ce contexte, Adala For All rappelle que les autorités libyennes ont l’obligation légale de protéger toutes les personnes sur leur territoire, de garantir l’accès à la justice et de respecter les droits fondamentaux, conformément au droit international et à la Déclaration constitutionnelle libyenne.
La répression des ONG et le traitement inhumain des migrants fuyant conflits et pauvreté constituent de graves violations des engagements de la Libye, notamment au titre du PIDCP et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Plutôt que d’instrumentaliser l’appareil d’État à des fins de répression, les autorités doivent agir pour faire respecter les droits, protéger les libertés et lutter contre l’impunité.
Recommandations
À l’attention du Conseil des droits de l’homme de l’ONU :
Créer de toute urgence une commission d’enquête internationale indépendante sur les violations graves et systématiques commises en Libye à l’encontre des juges, avocats, membres de la société civile, défenseurs des droits humains et migrants.
Aux autorités libyennes :
Mettre fin aux atteintes aux libertés
Respecter les garanties prévues dans le Code de procédure pénale et la Déclaration constitutionnelle, notamment lors des arrestations, détentions et présentations devant la justice, et garantir l’indépendance des juges et des avocats.
Mettre fin aux atteintes aux libertés d’association, d’organisation et d’expression, en cessant les arrestations arbitraires, la fermeture illégale d’ONG et les actes d’intimidation.
Abroger la loi liberticide n° 19 de 2001 ainsi que les décrets de 2016, 2019 et 2023, contraires à la Déclaration constitutionnelle et aux engagements internationaux de la Libye.
Protéger les travailleurs humanitaires, journalistes et militants contre toute forme de représailles, conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
Respecter les droits des migrants et réfugiés
Mettre fin aux détentions arbitraires et garantir des conditions humaines conformes aux Règles Nelson Mandela ;
Respecter le principe de non-refoulement et interdire toute expulsion vers un pays à risque ;
Permettre l’accès des agences onusiennes et des ONG aux lieux de détention pour y assurer une assistance humanitaire et juridique
Réformer l’ISA
Soumettre l’ISA à un contrôle judiciaire indépendant ;
Mettre en place un mécanisme de plainte accessible aux victimes ;
Former les agents de sécurité aux normes internationales en matière de droits humains, y compris les règles encadrant l’usage de la force, l’arrestation, la détention et les procès équitables.